
Que dis-tu d’un petit défi pour démarrer l’année?
Ok?
Je te propose de lire un prix Nobel!
Oui, oui, tu as bien lu un prix Nobel de littérature pour être plus précise. Rien que ça. Je sais déjà ce que tu vas me dire. Les prix Nobel de littérature sont des œuvres pour intellos et tu n’es pas intello.
Tu es convaincu.e de ne pas avoir le niveau pour te lancer. Tu te crois loin d’être érudit.e au point de te lancer dans ce type de lecture. Il y a quelques mois à peine, j’étais comme toi.

Je me pensais incapable de lire un livre de ce niveau. Puis l’été passé, je me suis rendue au book club organisé pour la librairie bruxelloise Cook & book. Nous lisons chaque mois un même livre et en discutons lors de notre rencontre.
Chacun présente ensuite une lecture sur un thème choisi préalablement. C’est comme cela que « L’événement » d’Annie Ernaux est entré dans ma bibliothèque. Il faut dire que Luna, libraire, en avait parlé avec tellement de ferveur et d’enthousiasme qu’il eut été difficile de ne pas le choisir à l’unanimité ou presque.
Annie Ernaux n’avait à ce moment-là pas encore reçu le prix Nobel. Je ne la connaissais pas du tout. Publié chez Folio en version poche, ce roman très court date du début des années 2000.

J’avoue avoir été rassurée par la concision du texte. Idéal pour moi alors convaincue d’être incapable de le lire (vive la confiance en soi!). Je n’ai pas lu ce roman, je l’ai dévoré. Les mots sont choisis. Incisifs. Rythmés.
Il n’y a pas une minute pour reprendre son souffle. Il faut s’accrocher. Se détacher. Annie Ernaux ne nous épargne rien. Elle écrit tout. Elle vomit sur les pages une histoire, un événement. Son avortement.
A la première personne, elle nous confie son choix de jeune fille étudiante. Annie Ernaux a avorté dans les années 60. Rien n’est tu dans ce témoignage fort. « L’événement » est un parcours. Une attente. Une confession. Un exutoire.
Pour moi, il fut une gifle. Violente. Un frisson constant. Une vérité. Un rappel. Oui je me doutais de ce qu’était un avortement. Non, je ne peux pas le comprendre. Non je ne l’ai pas vécu.

Les filles comme moi gâchaient la journée des médecins. Sans argent et sans relations – sinon elles ne seraient pas venues échouer à l’aveuglette chez eux -, elles les obligeaient à se rappeler la loi qui pouvait les envoyer en prison et leur interdire d’exercer pour toujours. Ils n’osaient pas dire la vérité, qu’ils n’allaient pas risquer de tout perdre pour les beaux yeux d’une demoiselle assez stupide pour se faire mettre en cloque. À moins qu’ils n’aient sincèrement préféré mourir plutôt que d’enfreindre une loi qui laissait mourir des femmes. Mais tous devaient penser que, même si on les empêchait d’avorter, elles trouveraient bien un moyen. En face d’une carrière brisée, une aiguille à tricoter dans le vagin ne pesait pas lourd.
Nous avons la chance de vivre dans des pays où l’avortement est un droit.
Oui, à notre époque, les femmes peuvent disposer de leur corps.
Oui, il serait préférable de ne pas devoir vivre une telle expérience.
Oui, il est préférable que l’avortement se fasse dans les meilleures conditions.
Un livre comme celui-ci est un fabuleux témoignage de ce qui était. Un texte engagé sans le vouloir (ou pas d’ailleurs). « L’événement » fait partie de mon top 10 en 2022.
Sera-t-il dans tes lectures coup de cœur en 2023?
Tu relèves le défi?
